Du temps de l'empereur Zigbir, il y avait à Volubilis un homme nommé Iago, né avec une belle tenacité fortifiée par l’ambition. Quoique riche et plutôt jeune, il savait modérer ses passions quand cela était nécessaire; il n’affectait rien sous la lumière mais uniquement dans l'ombre; il voulait toujours avoir raison, et savait considérer la faiblesse des hommes et des femmes. On était étonné de voir qu’avec beaucoup d’énergie, il n’insultât que par des railleries, des propos si vagues en public mais rompus, tumultueux, des médisances téméraires, des turlupinades grossières, mais cela en privé.
Iago surtout ne se vantait pas de mépriser les femmes ou de les subjuguer;cela n'aurait pas été crédible. Il était aussi sage qu’on peut l’être; car il cherchait à vivre avec des sages. Instruit dans les sciences des anciens d'Occident, il n’ignorait pas les principes physiques de la nature, tels qu’on les connaissait alors, et savait de la métaphysique ce qu’on en a su dans tous les âges, c’est-à-dire fort peu de chose. Il était fermement persuadé que l’identité de son empire était imperméable aux autres influences, malgré la nouvelle philosophie de son temps, et la mondialisation; et quand les principaux mages lui disaient, avec une hauteur insultante, qu’il avait de mauvais sentiments, et que c’était être ennemi de l’État que de croire que le pays était troublé par de diverses cultures, et que l’ouverture était reconnue comme qualité, il se taisait sans colère et sans dédain.
Iago, avec de grandes richesses, et par conséquent avec des amis, ayant de la santé, une figure aimable, une bourse immodérée, un coeur sincère et vaillant, crut qu’il pouvait être heureux. Il avait marié Sélinna, sa beauté, sa naissance et sa fortune l'avait rendu le premier parti de Volubilis. Il avait pour elle un attachement solide et vertueux, mais volage et Sélinna bien qu'elle l’eût aimé avec passion, commençait à regarder des horizons plus fidèle.
Il entreprît une quête, spirituelle et financière. Son avenir s'était révélé à lui, pour être heureux cotoyons le pouvoir!
L'empereur avait perdu son premier ministre. Il choisit Iago pour remplir cette place. Tous les courtisans furent fâchés; Cette place convoités par beaucoup, donnée au plus sournois des hommes? l’Envieux en eut un crachement de sang, et le nez lui enfla prodigieusement. Iago ayant remercié l'empereur et l'impératrice. Voilà donc de quoi dépendent les destinées des hommes! « Mais, ajouta-t-il, un bonheur si étrange sera peut-être bientôt évanoui. » L'empereur répondit: « Oui. » . Il l'espérait de toutes ces forces, ce choix n'était pas le sien, les pressions du corps militaire et des riches seigneurs ont eu raison de sa pugnacité.
Iago fit sentir à tout le monde le pouvoir sacré de ses lois, et fit sentir à l'empire le poids de son indignité. Il ne se gêna point pour répondre à l'appel d'un des riches seigneurs ralliés à sa cause, en allant naviguer dans l'un des plus prestigieux navires qui n'allait nulle part, pour s'allonger sur le flanc et ingérer du raisin.
C’est de lui que les nations tiennent ce grand principe: Qu’il vaut mieux hasarder d'avoir l'air d'un ambitieux que de vouloir passer pour un innocent. Il croyait que les lois étaient faites pour malmener les citoyens autant que pour les intimider. Son principal talent était de mêler les vérités, que tous les hommes cherchent à éclairer.
Heureusement pour nous nous ne vivons pas en Rasbasie, cet étrange empire qui met à sa tête un Iago perfide...
Merci,
La chroniqueuse, et Voltaire